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[Think 2025] « Réinjecter la création de valeur foncière dans les projets » (Pascal Brostin, SYSTRA)

News Tank Mobilités - Paris - Actualité n°392370 - Publié le
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©  Seb Lascoux
Pascal Brostin s’exprimant lors du Think Mobilités 2025 à Sorbonne Université - ©  Seb Lascoux

« La création de valeur, ou “land value capture”, est une méthode permettant à un acteur public de récupérer et de réinvestir les augmentations de la valeur foncière résultant des décisions publiques. En France, nous pouvons rendre cela opérationnel, et cela permettrait de couvrir une partie des besoins de financement des infrastructures de transports. Selon notre simulation, pour un SERM Service Express Régional Métropolitain de taille moyenne, nous pourrions financer jusqu’à 15 % du projet », déclare Pascal Brostin Directeur conseil et aménagement @ Systra France
, directeur conseil et aménagement de SYSTRA France • Groupe d’ingénierie et de conseil spécialisé dans les transports publics et les solutions de mobilité • Création : 1957 • Activité : études amont et de conception, phases de construction, test… , lors du Think Mobilités le 18/03/2025.

Pascal Brostin et cinq autres intervenants participaient à la table ronde « Optimiser sans renoncer : quels nouveaux leviers de financement ? » lors de Think Mobilités, à Sorbonne Université. Cette 2e édition de l’événement avait pour thème « Financement des mobilités : quels nouveaux modèles, pour quels résultats ? ».

Participaient à la table ronde :
• Claire Rais Assa Directrice adjointe du développement des transports territoriaux @ Société des grands projets (SGP)
, directrice adjointe du développement des transports territoriaux à la Société des grands projets • Établissement public national à caractère industriel et commercial assurant la maîtrise d’ouvrage du Grand Paris Express • Création : juillet 2010 (dans le cadre de la loi du 03/06/2010 relative… .
• Christine Arrighi Députée écologiste de Haute-Garonne (9e circonscription) @ Assemblée nationale
Ancienne cadre.
, députée de Haute-Garonne, commissaire aux Finances, co-présidente du groupe d’études Aéronautique & espace de l’Assemblée nationale • Chambre basse qui forme, avec le Sénat, le Parlement français • Création : 04/10/1958 • Mission : exerce une partie du pouvoir législatif • Composition : 577 députés• Présidente : Yaël…  ;
• Franck Dhersin Sénateur du Nord @ Sénat
, sénateur du Nord, membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ;
• Julien Thureau Directeur des financements structurés @ Vinci Concessions
, directeur des financements structurés chez Vinci Concessions ;
• Ulrich Mercier Senior Regional Manager, Enterprise @ Bentley Systems International Limited
, directeur régional France & Benelux de Bentley Systems.

« Il existe une inadéquation entre la durée de conception, d’exploitation et de maintenance d’une infrastructure, qui s’étend sur une dizaine d’années, voire plus, et la réévaluation du budget. Il est plus que nécessaire d’établir une cohérence entre la vision à long terme des infrastructures et leur financement », indique Ulrich Mercier.


État des lieux du financement : « La situation est grave, mais pas désespérée », pour Franck Dhersin

« Financer les mobilités nécessite une politique assumée sur le très long terme, or c’est tout l’inverse en France. En 2025, hormis l’effet d’affichage des autorisations d’engagement liées à la mise sur le marché des deux TET Train d’équilibre du territoire - Grandes lignes ferroviaires interurbaines et interrégionales (hors TGV) , les financements consacrés au ferroviaire se sont effondrés, tant au niveau du budget de l’État que de l'AFIT Agence de financement des infrastructures de transport France », déclare Christine Arrighi.

« La situation est grave. Désespérée ? Non. Peut-être désespérante, sous certains aspects. En 2025, j’ai voté un budget qui ne me satisfaisait pas, et la baisse de 900 M€ pour l’AFIT France est une mauvaise nouvelle. Depuis 30 ans, droite et gauche n’ont cessé de jouer au yoyo avec les financements, et c’est une erreur », selon Franck Dhersin.

« Les projets autoroutiers doivent être revus à l’aune de nouvelles données » (Christine Arrighi)

« Le secteur des transports peut bénéficier de nouvelles recettes. Dans le cadre de la niche écologique, nous avons proposé un texte instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultra riches. Cette proposition a été adoptée et j’attends désormais son passage au Sénat, dans l’espoir qu’elle soit validée et qu’elle permette de dégager de nouvelles ressources, notamment pour les transports.

Christine Arrighi - ©  Seb Lascoux

Je soutiens également une PPL Proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers, en particulier ceux conçus dans les années 1980-1990, à une époque où l’aménagement du territoire obéissait à d’autres logiques. Nous sommes en 2025, et il est temps de réévaluer ces projets à l’aune des nouvelles données scientifiques et des évolutions des usages post-Covid : télétravail accru, mobilités plus fragmentées et rapides sur de longues distances. »

Christine Arrighi, députée de Haute-Garonne

Points de vues des deux parlementaires sur la conférence de financement de mai 2025

« J’espère que cette conférence sur le financement ne sera pas qu’un énième rendez-vous où l’on parle sans agir, mais qu’elle débouchera sur de vraies décisions et des financements concrets. Cette grande conférence est essentielle : nous devons en sortir avec des montants clairement fléchés. L’enjeu, c’est d’obtenir que les recettes du transport restent affectées au transport, et ne finissent pas englouties par Bercy dans le tonneau des Danaïdes.

Franck Dhersin - ©  Seb Lascoux

Les recettes des concessions autoroutières profitent aux trois sociétés concessionnaires, mais aussi à l’État. Sur 100 € de péage, 40 € sont prélevés sous forme d’impôts et de taxes. Où va cet argent ? Malheureusement, il ne revient pas aux transports.

Concernant les SERM Service Express Régional Métropolitain , les CPER Contrat de plan État-Région ne prévoient des financements que pour les études. Je regrette que l’on soit passé de 12 à 25 SERM : on a voulu faire plaisir à tout le monde. Or, nous n’avions déjà pas l’argent pour en financer 12, alors encore moins pour plus de 20. Il ne faut pas non plus occulter les dépenses de fonctionnement, car sur ce sujet, il n’y a même pas l’amorce d’un début de réflexion. »

Franck Dhersin, sénateur du Nord

« Je pensais que cet engagement en faveur du financement des transports se traduirait dans la loi de finances, mais ce n’a pas été le cas. La conférence de financement a été élargie, passant des seuls SERM à l’ensemble du financement des transports. Je plaide pour que ces fonds soutiennent les mobilités décarbonées, et non davantage de routes et d’autoroutes.

Une conférence de financement ne peut pas faire l’impasse sur la valeur ajoutée des infrastructures de transport et sur leur rôle dans l’implantation d’entreprises et le développement économique, y compris pour les particuliers. Il est essentiel de mieux capter les retombées de cette dynamique au bénéfice de l’État. »

Christine Arrighi, députée de Haute-Garonne

Think Mobilités 2025 - ©  Seb Lascoux

Les solutions éprouvées pour faire face aux défis du financement

« Le jumeau numérique et les technologies avancées peuvent révolutionner la manière dont nous développons et maintenons les infrastructures de transport, notamment en répondant aux défis du financement. Ils peuvent apporter des solutions dans quatre domaines :

  • Le défi du vieillissement et l’adaptation au changement climatique. Grâce au jumeau numérique, on peut passer d’une approche curative à une logique prédictive, anticipant les défauts avant l’intervention.

Ulrich Mercier - ©  Seb Lascoux

  • Le retard et les surcoûts des projets : les solutions digitales permettent de les réduire et favorisent une gestion plus efficace des ressources publiques et privées, garantissant la durabilité des investissements.

  • La réduction des risques de surcoûts renforce l’attractivité des projets et facilite les financements privés, notamment auprès des banques, pour qui le management du risque est essentiel.

  • L’intégration de données environnementales dans un jumeau numérique permet de mieux orienter les dépenses vers des projets capables de démontrer une véritable valeur ajoutée environnementale. »

Ulrich Mercier, directeur régional France & Benelux de Bentley Systems

« Un outil rentabilisé dès la première année » (Julien Thureau, VINCI Concessions)

« Au-delà des investissements de la LISEA Concessionnaire de la LGV Sud Europe Atlantique , il y a toute la question de la maintenance et du renouvellement. 8 Md€ ont été investis, mais sur les 50 ans de la concession, il reste 6 Md€ à prévoir pour le renouvellement et la maintenance. Cet aspect est souvent négligé lors de la planification de projets de cette envergure. C’est justement là que la maintenance prédictive peut jouer un rôle crucial, en réduisant les risques, en économisant des ressources et en limitant l’utilisation de matières premières.

Julien Thureau - ©  D.R.

Avec notre société Mesea, mainteneur de la LGV Ligne à grande vitesse SEA Tours-Bordeaux, nous avons développé une technologie de maintenance assistée par intelligence artificielle pour surveiller certains aspects clés de la ligne, notamment la géométrie des rails et les aiguillages. Grâce à l’IA Intelligence artificielle , nous identifions les tendances et utilisons cet outil comme une aide à la décision. L’outil a été rentabilisé dès la première année, avec un investissement de 1 M€ pour son développement. »

Julien Thureau, directeur des financements structurés chez Vinci Concessions

L’intérêt des SERM dans le contexte budgétaire actuel pour Claire Rais Assa de la SGP • Établissement public national à caractère industriel et commercial assurant la maîtrise d’ouvrage du Grand Paris Express • Création : juillet 2010 (dans le cadre de la loi du 03/06/2010 relative…

« Les SERM présentent un intérêt particulier dans le contexte budgétaire que nous connaissons, car :

  • c’est un outil permettant d’émerger un projet de territoire multimodal. On cesse de réfléchir mode par mode et on pense l’ensemble des modes. Cette approche permet d’apporter une réponse mieux adaptée aux besoins des territoires.

Claire Rais Assa - ©  Seb Lascoux

  • ils permettent de s’affranchir des limites administratives et des compétences traditionnelles. La question devient : quel est le territoire pertinent ?

  • avec l’approche des SERM, on ne se limite pas à la question des infrastructures ; on se pose d’abord la question de savoir comment, à partir des infrastructures existantes, on peut aménager des services pour les usagers et les habitants des territoires. Il s’agit de trouver des moyens d’amorcer des chocs d’offre à très court terme, avec des victoires rapides en termes de report modal. »

Claire Rais Assa, directrice adjointe du développement des transports territoriaux à la Société des grands projets

« L’éco-conception peut venir réduire le coût de financement des projets » (Pascal Brostin, SYSTRA)

« Le triptyque traditionnel dans le pilotage des projets, qui était basé sur la qualité, le délai et le coût, est désormais remplacé par un quadriptyque qui intègre l’environnement. Aujourd’hui, lorsque nous pilotons des projets, nous les pilotons en fonction de la performance environnementale. Chaque décision en amont doit réduire l’empreinte écologique, ce qui aura également un impact sur le budget.

SYSTRA a développé des outils comme Gaïa pour estimer les coûts environnementaux. Dans un projet, si l’on n’intègre pas, au sein de la direction technique, la dimension environnementale et cette sensibilité à l’environnement, il y aura un impact sur le financement. À l’inverse, si l’éco-conception est bien intégrée, elle peut permettre de réduire les coûts de financement des projets. »

Pascal Brostin, directeur conseil et aménagement de SYSTRA France

Think Mobilités 2025 - ©  Seb Lascoux

Les pistes de nouveaux mécanismes : les PPP partenariat public-privé , le “land value capture”, la prise en compte d’outils numérique dans la commande publique

« La solution éprouvée reste la concession et le PPP (partenariat public-privé) au sens large. Cet outil nous paraît vertueux, tant par conviction que par retour d’expérience. Tout d’abord, parce qu’il ne pèse pas sur les finances publiques.

Il existe une épargne disponible provenant de fonds d’infrastructures comme ANTIN Infrastructures, qui disposent de capital, ainsi que des grands bailleurs de fonds et des institutionnels (sociétés d’assurances, assurances-vie). L’argent est là, ces investisseurs ont de l’appétit pour financer des projets, connaissent le secteur et sont prêts à prendre des risques, dans la limite du raisonnable. La solution consiste à recourir davantage aux PPP et aux concessions, afin de créer des opportunités d’investissement.

Cette solution permet d’arbitrer entre des projets multiples, tous intéressants d’un point de vue socio-économique, mais qui, de fait, se voient arbitrés en termes de calendrier en raison des moyens de financement qui restent limités. »

Julien Thureau, directeur des financements structurés chez Vinci Concessions

« En France, nous pouvons rendre opérationnel la “land value capture” » (Pascal Brostin, SYSTRA France)

« Un projet de mobilité, qu’il s’agisse d’une LGV, d’un métro ou d’un tramway, crée de la valeur à l’échelle d’un territoire. La création de valeur, ou “land value capture”, est une méthode permettant à un acteur public de récupérer et de réinvestir les augmentations de la valeur foncière résultant des décisions publiques. Cela permet de couvrir une partie des besoins de financement des infrastructures.

Chez SYSTRA, nous travaillons sur de nombreux projets à l’international, et plusieurs d’entre eux sont financés par la création de valeur. À Copenhague, les gouvernements nationaux et locaux ont financé 60 % du métro grâce à la vente de terrains et à leur valorisation. À Brasilia, la captation de la valeur a financé 85 % d’un projet de mobilité, et à Djeddah, nous avons atteint 30 %.

Pascal Brostin - ©  Seb Lascoux

En France, nous pouvons rendre cela opérationnel. En 2024, suite à la loi SERM, nous nous sommes rapprochés de Jean-Marc Zulesi et de juristes pour tenter d’appliquer ce modèle en France, notamment en travaillant sur la modélisation du modèle financier. Actuellement, ce modèle repose sur des subventions, mais nous souhaitons intégrer une nouvelle palette de ressources pour les collectivités, à savoir la charge foncière. Nous avons travaillé sur un texte qui permettrait de capter le foncier déjà acquis par l'EPF Établissement public foncier , tout en utilisant la loi SERM pour optimiser les outils existants en fixant une date de référence et une date de valeur, et en introduisant dans la mission des SERM une mission d’aménageur.

15 % de la valeur des SERM pourrait être financés »

Le premier avantage réside dans le fait que nous venons financer, de manière partagée, la création de valeur générée par l’ensemble de ces projets, qui sont ensuite réintégrés dans le financement des SERM. Selon notre simulation, pour un SERM de taille moyenne, nous pourrions financer jusqu’à 15 % de la valeur. Cela signifie moins de recours à l’emprunt et moins de subventions. Il reste cependant nécessaire de légiférer, notamment en modifiant le code de l’urbanisme et celui de l’expropriation. »

Pascal Brostin, directeur conseil et aménagement de SYSTRA France

« Des pays d’Europe de l’Est ont déjà intégré les jumeaux numériques » (Ulrich Mercier, Bentley Systems)

« Il existe une inadéquation entre la durée de conception, d’exploitation et de maintenance d’une infrastructure, qui s’étend sur une dizaine d’années, voire plus, et la réévaluation du budget. Il est plus que nécessaire d’établir une cohérence entre la vision à long terme des infrastructures et leur financement.

Les conditions de la commande publique sont des leviers puissants pour transformer les infrastructures de transport, notamment en intégrant des outils numériques et digitaux avec une approche prédictive. Les pays d’Europe de l’Est ont déjà intégré, par exemple, le BIM Building information modeling - Outils de modélisation des informations de la construction implémentés par des applications qui permettent la modélisation des données du bâtiment, d’une structure… et les jumeaux numériques dans les cahiers des charges des infrastructures. »

Ulrich Mercier, directeur régional France & Benelux de Bentley Systems

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Pascal Brostin s’exprimant lors du Think Mobilités 2025 à Sorbonne Université - ©  Seb Lascoux