Exclusif« Tripler l’offre de TC centre-périphérie pour décarboner la mobilité » (J. Coldefy, ATEC ITS)
« Pour décarboner la mobilité, il faut multiplier par trois l’offre de transports en commun centre-périphérie, qui représentent la moitié des émissions des mobilités des personnes des aires urbaines. On peut chiffrer le besoin total entre 45 et 50 Md€, pour franchir une étape significative dans l’offre alternative à la voiture individuelle. Ce n’est pas insurmontable pour un pays comme la France. La question est celle du rythme de ces investissements. Or, compte tenu des échéances climatiques, il faut aller vite », déclare à News Tank Jean Coldefy
Président du think tank @ Union routière de France (URF) • Directeur du programme Mobilité 3.0 @ ATEC ITS • Expert indépendant @ Consultant indépendant
, directeur du Programme mobilité 3.0, porté par ATEC ITS
• Association développant les échanges et les expériences entre les professionnels de la mobilité• organise les Rencontres de la mobilité intelligente• 330 membres issus de plus de 130 structures…
France, le 13/07/2021.
« Le report modal a fonctionné dans le cœur des grandes agglomérations, ce qui représente seulement 9 % de la population française, ce qui explique que malgré une augmentation du trafic dans les transports en commun de 70 % sur les cœurs de ville de province, et de 50 % en Île-de-France, l’impact a été finalement faible », indique-t-il.
Pour financer les investissements nécessaires, Jean Coldefy écarte l’hypothèse de nouvelles taxes, et préconise à la fois des mesures d’optimisation et de productivité : « Accélérer l’ouverture à la concurrence du TER, de manière à faire baisser le coût du train-km de 30 %, ce qui permettrait de dégager 2,4 Md€ par an », remplacer certains TER sous-utilisés par des réseaux de cars express, « redéployer une partie des bus parisiens sur la petite et la grande couronne »…
Toujours dans l’urbain, « en retrouvant un ratio R/D de 50 %, on dégagerait 6 Md€ par an. Cela signifie qu’il faut en finir avec la tarification au forfait, qui encourage les usagers à prendre les transports pour des distances qu’ils pourraient parcourir à pied ou en vélo ».
Très critique à l’égard des ZFE
Zone à faibles émissions
, « catastrophe sociale et symbolique », Jean Coldefy juge que « le problème majeur de la voiture en zones denses c’est l’occupation de l’espace public. Voilà pourquoi les villes ont besoin pour fonctionner de transports publics efficaces : pour éviter la thrombose ».
« Il faudra donc mettre en place des pass mobilité sur les grandes aires urbaines, qui intègrent dans la tarification la voiture au même titre que les autres modes de transport. De mon point de vue, le meilleur modèle est celui des villes scandinaves, comme le dispositif adopté à Oslo en 1990 : une tarification de l’ordre de 1 à 2 € par jour sur un périmètre très large, uniquement les jours ouvrés et pas pendant les vacances scolaires, en exonérant les deux premiers déciles de revenus. »
« Pour franchir une étape significative dans l’offre alternative à la voiture individuelle, le besoin total est estimé entre 45 et 50 Md€ »
Les émissions de GES liées aux transports augmentent. Le développement des transports publics est-il un échec ?
Au lancement du Grenelle de l’environnement, il y a vingt ans, l’objectif était de faire baisser de 20 % les émissions de CO2 des transports. Or, elles ont augmenté de 10 %. Le report modal a fonctionné dans le cœur des grandes agglomérations, ce qui représente seulement 9 % de la population française, ce qui explique que malgré une augmentation du trafic dans les transports en commun de 70 % sur les cœurs de ville de province, et de 50 % en Île-de-France, l’impact a été finalement faible. La part modale de la voiture est passée de 82 % des voyageurs-km à 79 % aujourd’hui, malgré 83 Md€ investis dans les TGV et les transports urbains. Si les aires urbaines représentent la majorité des émissions de la mobilité, les villes centres ne pèsent que 2 % : si l’on veut parvenir à réduire les émissions de 55 % d’ici 10 ans, il est urgent d’intervenir sur les liens centre-périphérie, qui représentent la moitié des émissions des mobilités des personnes des aires urbaines.
Mais pourquoi les ménages opèrent-ils des choix qui leur compliquent la vie ?
Les ménages opèrent des choix raisonnés dans les contraintes qui sont les nôtres. Dans un pays sans main-d’œuvre bon marché et sans matière première, le dynamisme économique passe par l’innovation. Celle-ci intervient là où sont localisés les emplois qualifiés : les grandes villes. Voilà pourquoi plus de 8 emplois sur 10 ont été créés dans les métropoles depuis 10 ans. Cette attractivité des métropoles, conjuguée à la destruction d’emploi dans les villes moyennes du fait de la disparition d’industries de produits bas de gamme, à la hausse des prix de l’immobilier dans les grandes villes et au fait que les deux personnes dans un couple travaillent, nourrit la déconnexion entre lieu de vie et lieu de travail. Les déplacements domicile-travail représentent 60 % des distances parcourues au quotidien. C’est ce qui structure nos mobilités ainsi que le dimensionnement des transports en commun pour les heures de pointe.
Aujourd’hui 25 % des actifs qui viennent travailler dans les métropoles n’y habitent pas »Aujourd’hui 25 % des actifs qui viennent travailler dans les métropoles n’y habitent pas, comme à Bordeaux ou Lyon. Cela représente 210 000 personnes sur l’aire urbaine de Lyon. Or pour atteindre Lyon, on compte 36 000 voyages TER quotidien et les trains sont saturés aux heures de pointe. Dans les grandes villes, le problème n’est pas le prix des transports publics, mais l’offre. Si les gens se déplacent en voiture, ce n’est certainement pas pour une question de prix mais très souvent parce qu’ils n’ont pas d’autres alternatives. Le TER coûte aux abonnés 3 centimes au km, soit sept fois moins cher que la voiture. Ceux qui peuvent utiliser le TER le font très volontiers.
Le développement du télétravail peut-il constituer une solution ?
Le télétravail ne garantit pas la baisse des déplacements. Il peut y avoir des effets rebonds, avec des reports de déplacements pour d’autres motifs et à d’autres moments, notamment les week-ends. Par ailleurs, quelqu’un qui se relocalise à 50 km de son lieu de travail réalisera en une journée plus de km que ceux réalisés en une semaine quand il habitait à 5 km de son travail. Etant donné que la majorité des ménages sont bi-actifs et que les changements professionnels peuvent être nombreux, l’idée de rapprocher les salariés de leur lieu de travail est largement illusoire. Des études poussées (voir les travaux de Jean-Pierre Orfeuil et Marie-Hélène Massot, notamment « La Ville cohérente ») ont par ailleurs démontré depuis longtemps que les gains étaient moindres qu’espérés.
Le recours accru aux modes doux, notamment au vélo, favorisé par la crise sanitaire, constitue pourtant un signe positif.
Les villes où la part de la voiture est la plus faible sont celles qui disposent d’un réseau de TC très performant »Le vélo et les modes doux sont adaptés aux courtes distances. Le report pendant la crise sanitaire s’est avant tout exercé au détriment du bus, du tramway ou du métro pour les modes individuels. Au sein des aires urbaines, le cœur de ville représente 2 à 3 % des émissions de CO2. Faire des pistes cyclables et rajouter de l’offre de transports en commun dans ces zones ne permettra pas de réduire significativement les émissions. La comparaison avec les villes championnes du vélo (Strasbourg, Amsterdam, Copenhague) le montre : les villes où on fait le plus de vélo ne sont pas celles où la part de la voiture est la plus faible, mais celle où on marche le moins. Compte tenu de la structure des déplacements, les villes où la part de la voiture est la plus faible sont celles qui disposent d’un réseau de TC très performant, avec un urbanisme cohérent. Il faut agir sur les trajets centre-périphérie, qui représentent 50 % des émissions dans les grandes aires urbaines.
Pour décarboner la mobilité, il faut multiplier par trois l’offre de transports en commun centre-périphérie, avec des solutions efficaces, donc rapides. L’offre doit être compétitive par rapport à la voiture en temps de parcours, alors qu’elle l’est déjà économiquement.
Cet objectif nécessite un niveau d’investissement conséquent. A quel niveau l’estimez-vous ?
Dans certaines agglomérations, le renforcement de l’offre passe par une mise à niveau des nœuds ferroviaires. Les besoins ont été estimés par le COI à environ 15 Md€, auxquels s’ajoutent encore 15 Md€ pour la modernisation des voies TER. Sans attendre, pour les liaisons centre-périphéries, un réseau de cars express avec voies réservées pourrait entraîner un report modal de 30 à 40 %. L’ATEC ITS a estimé le besoin à 12 Md€ pour en doter les 20 premières métropoles françaises. Et il faudrait en outre renforcer les modes lourds. On peut donc chiffrer le besoin total entre 45 et 50 Md€, pour franchir une étape significative dans l’offre alternative à la voiture individuelle. Ce n’est pas insurmontable pour un pays comme la France. La question est celle du rythme de ces investissements. Or, compte tenu des échéances climatiques, il faut aller vite.
Comment financer cet effort, alors que les finances des AOM sont mises à mal par la crise ?
Rajouter des taxes paraît difficilement acceptable. Il faut d’abord faire des économies »Notre pays est le champion du monde de la dépense publique et des prélèvements obligatoires. Rajouter des taxes paraît difficilement acceptable. Il faut d’abord faire des économies. Sur le TER, l’ouverture à la concurrence va contribuer à réduire les coûts et à améliorer la qualité de service. Aujourd’hui, les TER mobilisent 8 Md€ par an d’argent public. Le trafic a augmenté de 75 % mais la contribution des Régions a augmenté de 135 %. Elle était de 1,4 Md€ dans les années 2000, et se monte à 4 Md€ aujourd’hui. Et le train-km français coûte deux fois plus cher que le train-km allemand. En accélérant le rythme d’ouverture à la concurrence, on peut faire baisser le coût du train-km de 30 %. Ce qui permettrait de dégager 2,4 Md€ par an.
Sur les réseaux urbains, on peut optimiser les coûts de fonctionnement en utilisant les moyens de manière plus efficiente. En Île-de-France par exemple, l’offre bus est largement inefficace dans Paris, qui dispose du réseau de métro le plus important au monde et où elle est concurrencée par les nouvelles mobilités, véhicules en autopartage et EDPM. Il serait plus judicieux d’en redéployer une partie sur la petite et la grande couronne. Autre cas : les TER, dont le taux d’occupation moyen est de 25 %. Ils sont saturés aux heures de pointe dans les grandes agglos, mais le coût de certaines lignes peu fréquentées atteint 15 000 € par voyageur et par an. Au lieu de continuer à faire circuler des trains, qui sont souvent diesel sur des petites lignes, il vaudrait mieux faire circuler des cars qui coûtent 4 à 5 fois moins cher et sont beaucoup plus flexibles, et plus écologiques.
En retrouvant un ratio R/D de 50 % dans l’urbain, on dégagerait 6 Md€ par an »Enfin, le citoyen devrait être amené à contribuer davantage au coût de sa propre mobilité. Les Français paient en moyenne un quart du coût réel de leurs trajets en transports en commun. En dehors de la zone dense francilienne, Lyon est la seule ville où le ration R/D atteint 60 %. En 1975, cette proportion était de 70 % au niveau national. En 1990, on était encore à 50 %. Et nos voisins allemands sont à 80 %. En retrouvant un ratio R/D de 50 %, on dégagerait 6 Md€ par an. Cela signifie qu’il faut en finir avec la tarification au forfait, qui encourage les usagers à prendre les transports pour des distances qu’ils pourraient parcourir à pied ou en vélo. Dans les grandes villes, un quart des voyageurs effectuent des trajets pour une ou deux stations. L’employeur pourrait par exemple prendre en charge 100 % des trajets domicile - travail, et tout le reste serait acquitté à 50 % par l’usager, mais d’autres formules sont tout à fait possibles grâce à la flexibilité des outils numériques dont nous disposons aujourd’hui.
Cette proposition va à l’encontre de la tendance à la gratuité. Comment prendre en compte les inégalités sociales ?
Rien n’empêche de mettre en place des systèmes de tarification solidaire donc non pas en fonction du statut mais des revenus, et la gratuité est une mauvaise réponse dans les grandes villes et fait une erreur de raisonnement : ce n’est pas en raison du cout que les gens ne prennent pas les TC, mais en raison de leur insuffisance. Le problème c’est l’offre pas la demande. Quant au tarif unique, il s’agit en fait d’une mesure très inégalitaire. Quelqu’un qui habite Fontainebleau et utilise un abonnement Navigo coûte 6 000 € par an à la collectivité. Creil est à la même distance de Paris ; la sociologie n’est pas la même, pourquoi les tarifs seraient-ils les mêmes ?
La mise en place des ZFE devrait, elle aussi, contribuer à réduire les émissions de GES.
L’impact sanitaire des ZFE sera faible, mais l’impact social très important »Je considère que les ZFE sont une catastrophe sociale et symbolique puisque l’on met de la contrainte non pas sur l’usage de la voiture mais sur ceux qui ont déjà le plus de contraintes : les plus pauvres, sans offrir de solution alternative pour aller travailler. L’impact sanitaire sera faible, mais l’impact social très important. La période est à la construction de solutions et à la cohésion : les ZFE font exactement le contraire. On aurait pu voir une mesure plus pragmatique et souple, en inversant l’ordre des mesures : d’abord la construction d’alternatives, ensuite de la contrainte sur la voiture et pas uniquement sur les détenteurs des voitures anciennes. Ajoutons que si beaucoup de ZFE existent ailleurs, comme en Allemagne, les critères retenus sont beaucoup plus souples : une voiture Crit’Air 4 ou 5 essence en France a la pastille verte en Allemagne.
La lutte contre le réchauffement climatique est un enjeu commun à l’ensemble de la société française, qui est déjà bien fracturée. La ville est le lieu de la rencontre, elle doit être aussi le lieu de la cohésion. Par ville, j’entends système urbain et pas uniquement cœur de ville. C’est-à-dire un ensemble qui englobe le centre, la 1re et 2e couronne, avec tous ceux qui viennent travailler et profiter des aménités urbaines sans y habiter : hôpitaux, pôles culturels et de formation. Nous devons recréer du lien entre les territoires, et éviter que les villes centres se replient sur elles-mêmes dans un égoïsme territorial qui ne dit pas son nom. Enfin, il faut réaliser que sur une aire urbaine, ¼ de la population réside dans la ville centre, ¼ en première couronne, et la moitié dans le périurbain. On ne pourra évidement pas reloger tout le monde dans la ville centre, il faut faire avec ces réalités. La ville ne se réduit pas à sa ville centre et un territoire n’appartient pas qu’à ceux qui y habitent.
La généralisation de la mobilité électrique en ville aura tout de même des conséquences positives sur la qualité de l’air. Ne s’agit-il pas de la véritable alternative à la voiture thermique ?
Il faudra mettre en place des pass mobilité sur les grandes aires urbaines, qui intègrent la voiture et les autres modes »Oui, mais quand on aura des bouchons de voitures propres, on devrait se poser les bonnes questions ! Le problème majeur de la voiture en zones denses c’est l’occupation de l’espace public. Voilà pourquoi les villes ont besoin pour fonctionner de transports publics efficaces : pour éviter la thrombose. Or, la voiture électrique va réduire les coûts d’usage et risque d’encourager le recours au véhicule individuel, ce qui augmentera la congestion routière. Il faudra donc mettre en place des pass mobilité sur les grandes aires urbaines, qui intègrent dans la tarification la voiture au même titre que les autres modes de transport. De mon point de vue, le meilleur modèle est celui des villes scandinaves, comme le dispositif adopté à Oslo en 1990 : une tarification de l’ordre de 1 à 2 € par jour sur un périmètre très large, uniquement les jours ouvrés et pas pendant les vacances scolaires, en exonérant les deux premiers déciles de revenus. Les recettes induites sont intégralement affectées à un programme de mobilité défini entre région et métropoles pour déployer beaucoup plus rapidement les investissements en TC qui permettent de relier les territoires. Sur une agglo comme Lyon, cela permettrait de dégager 100 à 200 M€ par an.
Ainsi on accélère dans la réduction des émissions de CO2, on assure une cohésion territoriale et sociale avec de facto un transfert de revenus vers les moins aisés, En 2019, Oslo a dégagé 300 M€ avec ce système, affectés à 60 % aux transports en commun, et à 40 % aux autres infrastructures. Oslo a gagné 30 ans dans le déploiement de son système de mobilité. Les enjeux climatiques devraient nous commander d’en faire autant.
Jean Coldefy
Président du think tank @ Union routière de France (URF)
Directeur du programme Mobilité 3.0 @ ATEC ITS
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Parcours
Président du think tank
Directeur du programme Mobilité 3.0
Expert indépendant
Vice-président (France)
Adjoint service mobilité urbaine, reponsable du pôle projets et services
Manager senior
Ingénieur étude projets d’aménagements urbains sur financements (Banque Mondiale)
Établissement & diplôme
Mastère en gestion d’entreprise et informatique de gestion
Ingénieur
Fiche n° 40724, créée le 30/09/2020 à 17:35 - MàJ le 31/01/2023 à 11:10
ATEC ITS
• Association développant les échanges et les expériences entre les professionnels de la mobilité
• organise les Rencontres de la mobilité intelligente
• 330 membres issus de plus de 130 structures (collectivités territoriales, services de l’État, établissements d’enseignement et de recherche)
• Effectifs : équipe permanente de sept personnes
• Président : Martial Chevreuil
• Délégué général : Benoît Augarde
• Chargée de communication : Alexandra Samy
• Tél. : 01 45 24 09 09
• Contact : contact@atec-itsfrance.net
Catégorie : Bureau d'études et ingénierie
Adresse du siège
38 bis, avenue René Coty75014 Paris France
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Fiche n° 10267, créée le 29/09/2020 à 10:25 - MàJ le 04/10/2024 à 10:09